LE PETIT BRUIT D'A COTE DU COEUR DU MONDE
- Dernières Nouvelles d'Alsace - Concert avec Daunik Lazro, à Strasbourg

- Le monde - CD
- Peace Warriors - CD
- All-Music Guide - CD +
- Revue & Corrigée -CD

 
 
Kristoff K.Roll,
avant les mouches...
   
 

...En lever de rideau aux manifestations d'"Avant les mouches" suscitées par l'Ecole des arts décoratifs de Strasbourg (DNA d'hier), un duo électroacoustique et le saxophoniste Daunik Lazro ont investi l'auditorium du musée d'Art moderne et contemporain de Strasbourg.

Investie par Carole Rieussec et Jean-Christophe Camps, la scène y prit des allures de cabinet du baron Victor Frankenstein, avec Camps dans le rôle du savant fou, Rieussec en Ygor et Daunik Lazro en créature puissante et imprévisible: des fils partout, des boites mystérieuses, des témoins lumineux qui clignotent, des accessoires curieux, par exemple un petit tabouret africain sculpté en bois sombre, un arc musical, des crécelles d'enfant montées sur roulettes.

Des activistes du son

Les K.K.R. sont des " activistes du son", qu'ils travaillent dans un esprit d'offensive ouverture à l'autre, aux autres: pas de métissage, mais un désir de, une ouverture à, une tension vers l'autre, vers l'étranger. Un ensemble de sons ramenés d'un voyage en Afrique, "ensevelis dans une construction imaginaire, provisoire et métisse",

 

et l'on entend bien là une pulsion cosmique ou biologique, des bruits de groupe humain, un mantra, un troupeau de brebis entre fièvre de la sortie matinale et joie crépusculaire des estomacs remplis, des branches froissées, des terres remuées, le son éructé du baryton, une porte qui se ferme, une planche de bois frappée, des stridences d'oiseaux, des coqs lointains au lever du jour...

Un gong caressé, une femme qui rit

Plus tard, la pulsion insistante, rapide, d'autres ovins, d'autres enfants, d'oeufs ou d'huîtres jetées dans la friture, une percussion sombre et sourde, un gong caressé, de la vaisselle cassée que l'on remue et qui sonne comme un hochet, des portes qui grincent, une femme qui rit - toute une apocalypse sonore, difficilement supportable (la musique électroacoustique rend elle sourd ?), et un monologue sur la tristesse des sans-papiers. Et tout ici est dans l'art de combiner ces éléments, de les mêler sans les nier, d'échafauder prudemment sans lasser: Jean-Christophe Camps et Carole Rieussec réussissent parfaitement à retenir l'attention, et Daunik Lazro s'inscrit aisément dans ces vastes espaces libres, où les K.K.R. multiplient les pistes légères...
Claude F. Fritsch

N° 58 Vendredi 9 mars 2001
 

LE MONDE

Vendredi 4 octobre 2002

Sélection disques jazz

Sous l'impulsion de l'équipe du Centre culturel André-Malraux de Vandoeuvre, l'un des lieux où leur passionnante complicité musicale est régulièrement reçue, Carole Rieussec et Jean-Christophe Camps, soit Kristoff K.Roll, duo à la ville et à la scène, devient présent sur disque. Avec un double album, à la présentation soignée - nombreuses photographies, plein de pistes explicatives dans l'épais livret - qui dit une démarche de long cours sur une période de plusieurs années. Rieussec et Camps, qui manipulent des machines et collectent des sons, seraient plutôt inscrits dans le champ de l'électro-acoustique. Il combinent des instruments identifiables (au saxophone baryton, Daunik Lazro, un trio de cordes à deux violons et un violoncelle) à des éléments à découvrir, dans une envie ludique, agrègent des parties improvisées à d'autres prévues. Le tout animé par un esprit d'expérimentation qui ne se regarde pas le nombril mais invite l'auditeur à une participation de chaque instant. En cela il y a avec Kristoff K.Roll certainement plus de correspondances avec le jazz que de la part de ceux qui en brandissent l'étendard à tout va. On peut dire de leur Petit Bruit qu'il est bien un événement.
Sylvain Siclier

 
PEACE WARRIORS
Le petit bruit d'à côté du coeur du monde - CD
   

Le petit bruit d’à côté du coeur du monde
KKR (Carole Rieussec, Jean-Christophe Camps) musiques concrètes/acousmatiques, dispositifs électroacoustiques.
Noëmi Schindler (violon), Sona Khochafian (violon), Christophe Roy (violoncelle).
Daunik Lazro (saxophone baryton).
Coffret 2 CDs+livret - Vand'oeuvre 0222 (Culture Press)

"Il faut bien que nous ayons accumulé des crimes qui nous ont rendus maudits, pour que nous ayons perdu toute la poésie de l'univers." Simone Weil

Au retour d'un voyage effectué en Afrique de l'Ouest en 1994, les électroacousticiens Kristoff K. Roll avaient leurs "valises pleines de sons africains" et ils ont eu le "désir de prolonger l'aventure concrète par l'Ècriture instrumentale ... avec les cordes, l'archet et l'improvisation".
Pendant sept ans, ils ont travaillé à ce Petit bruit..., sensible "hommage à un bout d'Afrique". Pendant sept ans aussi, ils ont pratiqué en concert (une bonne douzaine de fois) jusqu'à neuf variations de ce projet, et confronté leur expérience de la musique acousmatique avec ces sons africains mais aussi ces sons occidentaux de la musique pour cordes et de l'improvisation instrumentale. Les deux CD proposés ici reprennent deux de ces variations et sont accompagnés d'un livret dense, magnifiquement réalisé, nous dévoilant avec force détails les réflexions, interrogations et réponses qu'ont voulu donner Kristoff K.Roll à ce projet. Dans la Variation 5, on entend le trio à cordes ainsi que, dans la pièce finale, Daunik Lazro au baryton, Ègalement présent tout au long de la Variation 7, objet du second CD enregistré dans le studio du CCAM.
A travers ces documents sonores travaillés et métissés, l'intention est évidemment perceptible car potentiellement riche de pluralités culturelles, et féconde de chocs entre traditions orales et écrites. Mais là n'est pas tout l'essentiel. Il faut ainsi s'interroger sur cette impression délicieusement

 

 

étrange qui émane de TOUS ces sons flottants qui viennentnous happer, nous agripper pour ne plus nous lâcher : ces sons de la vie concrète, d'une simplicité extrème quelquefois, traités comme autant d'objets sonores dans un remarquable agencement, résultat d'un travail que l'on imagine ardu et d'un savoir-faire imposant. De quoi s'agit-il ? Sans doute de cette irruption du réel qui nous invite à ne plus être coupé de la réalité. On s'autorisera cette incursion dans un terrain métaphorique peu fréquenté mais qui pourrait néanmoins livrer l'une des clés pour saisir l'élaboration du langage musical à l'oeuvre ici. Ce Petit bruit d’à côté du coeur du monde, c'est aussi - nécessairement - ce que nous cotoyons tous les jours sans y prêter grande attention. C'est, indirectement, l'éclairage de nos oublis, de notre refoulé, de ce qui rend muet et sourd. Résistance donc grace à ces sons flottants assemblés, spatialisés, mis en écoute et qui nous révèlent ce que nous pensions connaître, ce familier si mal intériorisé et si peu approprié.
Ce saxophone que nous connaissons bien n'est finalement pas un saxophone : il est autre, il est l'autre parmi nous. Ces violons jouant de la musique contemporaine enfin nous parlent ici. Ces babillages d'enfants africains tout affairés à leurs jeux, ce récit historique terrifiant que nous savons tous, cette musique concrète sont au coeur de nos vies et nous transforment déjà. Ce que l'on entend vient provoquer un désir de réalité. Si cette musique peut avoir un sens, qui dépasse toute forme de spéculation esthétique, c'est par l'émergence d'une autre réalité : oui, on a bien entendu un monde qui existe bel et bien et qui est à vivre.
Cette volonté de reconstruire le sonore, cette réinterprétation de moments saisis de la vie quotidienne africaine, de la musique concrète, d'un trio à cordes, d'improvisations au saxophone, n'est pas un jeu esthétique stérile. C'est une musique à l'écoute d'un réel qui vient lutter contre toute forme de séparation et dont la portée s’avère être la poétisation du quotidien. Ce Petit bruit d’à côté du coeur du monde, les Kristoff K.Roll sont allés le débusquer, l’extirper. Il était bien là. Il est toujours là, à notre portée.
Jacques Oger

N° 19 - Août 2002

All-Music Guide
(Canada)
François Couture Avril 2002

Le petit bruit d'à côté du coeur du monde - CD
   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Le duo électroacoustique Kristoff K.Roll (Jean-Christophe Camps et Carole Rieussec) prend son temps. Chaque disque est oeuvre d'amour. Dans Le petit bruit d'à côté du coeur du monde (2 CD plus un livret de 96 pages), ils atteignent un niveau encore supérieur de beauté. Ce projet a été en gestation pendant sept ans et a traversé huit étapes de maturation.
Tout a commencé par un voyage en Afrique occidentale, pendant lequel ils ont enregistré et se sont immergés dans la culture africaine (on peut tracer un parallèle avec leur disque Corazon Road, paru en 1993, et réalisé lui aussi à partir d'un voyage en Amérique centrale). De retour en France, C.Rieussec et J-C.Camps ont commencé à jouer en concert avec ces enregistrements de voyage, en faisant et défaisant ces histoires de route. Avec le temps, les souvenirs se sont opacifiées; et les couches successives de sens se sont mêlées, chaque nouvelle variation en ayant révélé de nouveaux. Le processus de création est complètement décrit dans le livret (en français et en anglais, avec des passages en espagnol, allemand ou Bambara).
Le premier disque reprend la variation 5, une “construction” faite de musiques concrètes et accousmatiques, alternant avec des compositions pour trio à cordes de Carole Rieussec et un magnifique solo de Daunik Lazro au saxophone baryton, “duettant” en fin avec un enregistrement de train. Le second disque présente la variation 7, qui est plus dans le registre de l'improvisation. Lazro ayant un rôle central, les Kristoff K.Roll jouent en direct de “séquences sonores” sur support, ainsi que des objets et des petits instruments.
Le premier disque est un voyage impressionniste aux accents socio-politiques. Le second est un songe éveillé, qui puisse sa source dans les bruits quotidiens de lieux où nous n'avons jamais mis les pieds, pour la plupart d'entre nous. Tous deux sont une oeuvre admirable qui se découvre et se livre un peu plus à chaque écoute. La singularité de l'art, et de la poésie, de ce duo est toute entière dans le soin du détail et la puissance de l'évocation. A recommander aux voyageurs de l'oreille.


François Couture Rédacteur - journaliste spécialisé en musiques exigeantes Journaliste pour le All-Music Guide http://www.allmusic.com
Réalisateur de Délire Actuel, CFLX
Page personnelle: http://fcouture.multimania.com


The electroacoustic duo Kristoff K.Roll (Jean-Christophe Camps and Carole Rieussec) take their time. Each album is a labor of love. Le Petit Bruit à Côté du Coeur du Monde (Little murmur from next to the heart of the world), a set of two CDs plus a 96-page booklet, sees them reach a new level of beauty. This project gestated for seven years and went through eight different stages of development.
It began as a trip to Western Africa in 1994 during which the pair made recordings and immersed themselves in African culture (a parallel must be drawn to their 1993 album Corazón Road, put together from and following a trip to Central America).
Back in France, Camps and Rieussec began to perform live with the material they collected, building and breaking down travel stories. As time passed, recollections blurred, layers of meaning blended, the integration of the experience yielding new messages to put across. The whole creation process is documented in the booklet (in French and English, plus parts in Spanish, German and Bambara).
Disc 1 documents Variation 5, a collage of concrete and acousmatic sounds interspersed with compositions for string trio by Rieussec and a great performance by Daunik Lazro on saxophone baritone duetting with the recording of a train. On disc 2 we find Variation 7, much more improvised with Lazro playing a central part and Kristoff K.Roll, manipulating samples live in addition to playing objects and small instruments.
The first disc is an impressionistic journey with socio-political overtones. The second one is a daydream rooted in day-to-day sounds from places most of us have never been. Both are excellent works that reveal more of themselves with each listen. The uniqueness of this duo’s art remains whole, so do the poetry, the attention to detail, the evocative power. Highly recommended to aural travellers.

François Couture Writer-journalist specialized in demanding music Writer for the All-Music Guide http://www.allmusic.com
Réalisateur de Délire Actuel, CFLX / Producer of Delire Actuel, CFLX
Personal webpage: http://fcouture.multimania.com

 
revue & corrigée
Le petit bruit d'à côté du coeur du monde - CD
   

Après les sonores de l¹Amérique Centrale dans "Corazón Road", inspirées par le phénomène zapatiste, KRISTOFF K. ROLL visitent l¹Afrique, et notamment le Sénégal, le Mali et la Guinée, anciennes colonies françaises. Cette visite est le contraire du principe du sampling des musiques du monde, dans des constructions musicales complètement étrangères à des traditions pillées ­ pas de rapport avec ce q'¹ont fait Roberto Musci et Giovanni Venosta, en conclusion. Pour dire la vérité, le sampling des musiques ethniques glace d¹horreur les deux protagonistes de ce projet, Carole Rieussec et Jean-Christophe Camps. Pour eux, la sampling music et l¹esthétique DJ ne favorisent pas l'écoute de la diversité, mais un procès d¹homogénéisation des cultures planétaires. Non, c¹est avec les sons du quotidien, les voix-parlantes des peuples de l¹Afrique, des images audio très spécifiques de la réalité africaine, qu¹ils travaillent dans "Le petit bruit d¹à côté du c¦ur du monde". L¹utilisation de ces sons est, en conséquence, symbolique, et la motivation est clairement politique. Cette oeuvre conçue/jouée/montée avec des propos hybrides ­ ils préfèrent dire "créoles" ­ entre la musique concrète, l¹électroacoustique, la musique de chambre à cordes et l¹improvisation (avec la collaboration du saxophoniste Daunik Lazro au baryton, tout un "icon") explore les fantasmes occidentaux sur l¹Afrique, mais pas seulement. Elle capte aussi les projections fantasmatiques des Africains sur nous, ses colonisateurs d¹autres temps. Ici, l¹artiste est observateur et observé. KRISTOFF K. ROLL sont très clairs quant à leurs objectifs : "La musique qu¹on fait porte au fond d¹elle-même une autre organisation des sons, et d¹autres rapports entre les gens."

KRISTOFF K. ROLL proposent des rencontres, des associations nouvelles, ils ne font pas simplement des "citations". Comme dans "Corazón Road", "l¹étrangeté" représente seulement une part de ce qu¹ils appellent "une juste évaluation de l'internationalisation des luttes". L¹Afrique sonore de ce double album peut paraître "exotique", mais ce qui est en jeu sont les formes que prennent la conscience critique et '¹inconscient collectif des hommes et des femmes. Nous voulons les mêmes choses : pas de grandes différences entre les aspirations des

 

 

communautés indigènes au Mexique ou en Guinée et celles de France et du Portugal (l'auteur de cette chronique est portugais, né au Mozambique). Comme l'a dit Vincent Geais dans une conférence (Carole et Jean-Christophe étaient là), l'écoute, pratique fondamentale de la musique, est comme une "renaissance" dans un contexte "étrange". Et l¹écoute, pour KRISTOFF K. ROLL, oscille toujours entre le local et le lointain.

"Le petit bruit ..." est une oeuvre "créole" parce que la musique, ici, n¹est pas une unité, mais une identité-rhizome, elle a le sens de la globalisation sans être "globale". L¹art sonore de KRISTOFF K. ROLL n¹est pas une addition ou une synthèse (musique concrète + électroacoustique + écriture "classique" pour cordes + improvisation plus ou moins maîtrisée dans le "jazz", mais "une résultante composite et totalement imprévisible", qu¹ils questionnent en la présentant. Pas de "tourisme sonore", pas de "néocolonialisme musical" : Carole Rieussec et Jean-Christophe Camps croient qu¹il existe des lieux entre expérimentation et tradition. Leurs modes de transmission se rapprochent, pas nécessairement transmission d¹un maître à un élève, mais à travers la discussion et grâce à des pratiques collectives de personnes avec plusieurs cultures et formations. L¹expérimentation, elle aussi, est surtout "orale". C¹est très intéressant de vérifier les coïncidences entre certaines situations des musiques experimentales et les musiques traditionelles, quand cette "familiarité" n¹est pas intentionelle. Et ça nous le trouvons souvent chez KRISTOFF K. ROLL, quand, par exemple, les sons amplifiés par micro d¹un mécanisme d¹horloge resemblent à des frappes de tambour venues de quelque part sur la Terre.

Pour toutes ces raisons, "Le petit bruit ..." est une non seulement une création d¹une qualité musicale et d¹un intêret esthétique supérieurs, mais aussi un travail digne d¹admiration, d¹une réflexion profonde et lucide sur la façon que nous avons, aujourd¹hui, de voir le monde. Malgré tout ­ malgré Bush, malgré le terrorisme fondamentaliste, malgré Israel, malgré la stupidité du capitalisme ­ nous avons des raisons d¹espérer. Merci Carole et Jean-Christophe. C'est ça, surtout, la fonction de l¹artiste.
Rui Eduardo PAES

 

N° 54 - Décembre 2002
 
Retour